Login

Blé bio : un itinéraire innovant et prometteur mais encore difficile à appliquer

La faucheuse inter-rangs mise au point par Eco-Mulch. Aujourd’hui, un matériel équivalent est proposé par Bionalan.

En bio, la culture du blé dans un couvert permanent de luzerne présente beaucoup d’atouts, parmi lesquels la maîtrise des adventices et l’autonomie en fertilisation azotée. Un matériel spécifique et une grande maîtrise technique sont toutefois nécessaires.

Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.

Pour son rallye bio 2024, la chambre d’agriculture des Pays de la Loire, en partenariat avec la coopérative Cavac, le Geda Sud-Vendée et l’Union des Cuma, avaient choisi la thématique "Carbone et azote".

Comment stocker du carbone dans les sols ? Comment être autonome en azote en bio ?

À ces questions, Régis Hélias, ingénieur régional d’Arvalis en Occitanie et animateur national de la filière bio, a une réponse : le semis direct de blé dans un couvert vivant de luzerne en inter-rang. « Nous travaillons depuis 2016 sur cette idée bousculant le raisonnement agronomique. Plus nous avançons, plus nous y croyons », indique-t-il.

Les premiers essais ont été menés sur un sol à petit potentiel du Sud-Ouest : en 2016, une luzerne est semée à 30 cm d’écartement sous couvert de tournesol. Après récolte, un blé est semé à l’automne, à 30 cm d’écartement entre les rangs de luzerne. Toutes les lignes de semis sont géoréférencées à l’aide du guidage satellitaire RTK.

Au printemps, quand la luzerne redémarre, elle est fauchée régulièrement, formant un paillage pour le blé. Pour cela, Arvalis a mis au point avec la société Eco-Mulch une faucheuse inter-rang large de 6 m. « La luzerne est une plante puissante capable d’étouffer un blé, explique Régis Hélias. Il faut donc inverser la concurrence jusqu’à ce qu’elle se trouve à l’ombre du blé. Sachant que ces fauches apportent de l’azote à la culture. »

Jusqu’à 200 unités d’azote apportées par la luzerne

À la récolte du blé, la luzerne redémarre immédiatement, concurrençant ainsi les adventices et captant de l’azote à destination de la culture suivante. Elle est broyée à l’automne après le semis d’un deuxième blé, puis à nouveau fauchée en inter-rang au printemps, et l’opération est renouvelée avec un troisième blé.

D’après Régis Hélias, cette succession de plusieurs blés est compatible avec le cahier des charges AB, les organismes de certification considérant qu’il s’agit d’une culture associée.

Après le semis de blé, la luzerne est broyée, ce qui forme un paillage et génère un apport d’azote. (© Arvalis)

Le rendement obtenu en 2017 avec le premier blé bio est de 14 q/ha en raison du peu d’azote apporté exclusivement par la luzerne encore petite. Il grimpe à 27 q/ha en 2018 puis 40 q/ha en 2019. Chaque fois, le taux de protéines pour la panification est atteint (de 11,2 à 14 %).

Ainsi, l’ingénieur calcule que l’azote apporté par la luzerne et absorbé par la culture est de 73 unités/ha la première année, puis 165 unités et 196 unités les années suivantes.

« Nous avons maîtrisé la plupart des adventices dont la prêle et le chardon, mais pas le chiendent ni le gaillet, ajoute-t-il. Il est envisageable de biner la luzerne pour l’aider contre les adventices. » Enfin, cette méthode de culture sur couvert permanent limite l’érosion, stocke du carbone et favorise la biodiversité.

Rendement similaire avec plus de protéines

De nouveaux essais sont conduits dans le cadre du projet Graal (2021-2026). Plusieurs types de couverts sont semés au printemps 2022 (luzernes Gea et Galaxie, trèfle violet, sainfoin), avant l’implantation à l’automne d’une orge brassicole (récolte 2023) puis d’un blé (récolte 2024).

« Selon les cas, la matière sèche produite par les couverts atteint 8 à 13 t/ha cumulées en deux ans, constate Régis Hélias. Cela représente entre 220 et 370 kg/ha d’azote restitué au sol, issu de la fixation symbiotique par le couvert de légumineuses ainsi que des reliquats azotés précédents. Toutefois, la lixiviation est moindre que sur un sol nu grâce à la permanence du couvert. »

L’analyse des composantes du rendement du blé récolté en 2024 montre que la densité de plantes levées est inférieure en présence d’un couvert par rapport à un sol nu (- 30 %). Mais au final, il n’y a pas d’écart significatif sur le nombre de grains par épi (17,8 grains/épi en sol nu) ni sur le rendement (19,6 q/ha en sol nu à 15 % d’humidité). La teneur en protéines (9,7 % en sol nu) est quant à elle significativement améliorée en présence du couvert de légumineuses (+ 15 à 20 %).

« Je dis aux agriculteurs souhaitant se lancer dans cette technique d’être patients, le temps que nous puissions vraiment apporter les bons conseils », souligne Régis Hélias d’Arvalis. (© Nathalie Tiers)

« Vous n’achetez plus d’engrais ! »

À l’issue de ces premiers essais, Régis Hélias formule ses recommandations. « Le principe est de construire la rotation à l’envers avec des cultures de plus en plus exigeantes en azote puisque celui-ci est de plus en plus disponible au fil du temps, résume-t-il. La pratique est prometteuse mais sa mise en œuvre reste compliquée. »

« Il faut s’assurer de la précision du guidage RTK à deux centimètres près, ce qui n’est pas toujours le cas. Il faut aussi centrer parfaitement l’outil de fauchage : c’est de la maîtrise de haut-vol ! Certains agriculteurs commencent à se lancer ; je leur dis d’être patients, le temps que nous puissions vraiment apporter les bons conseils. » Arvalis surveille aussi le risque sanitaire sur le blé, et, teste en tant qu’alternative le semis de canola (colza de printemps) cet automne.

De plus, la méthode nécessite de s’équiper d’un outil spécifique comprenant une faucheuse inter-rangs, des éléments de semis direct et une trémie frontale ; le tout représentant un investissement de 100 000 euros.

« Certes, mais vous n’achetez plus d’engrais !, souligne Régis Hélias. Pour calculer le retour sur investissement, nous avons réalisé une simulation technico-économique à l’aide de l’outil Systerre, en intégrant un couvert permanent sur un tiers de la surface d’une ferme de 300 ha. Nous améliorons 100 % des indicateurs considérés. On dégage notamment 45 000 euros de plus par an, ce qui signifie un retour sur investissement à partir de la troisième année. »

A découvrir également

Voir la version complète
Gérer mon consentement